11 févr 2014 - INTERVIEW D’EDWARD SNOWDEN (NSA)
Par La Chaîne De TV Allemande NDR Du 26.1.2014
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Cette interview télévisée à Moscou, est la deuxième du genre
après celle menée par les journalistes Glenn Greenwald et Laura Poitras à Hong
Kong en juin 2013.
(Crédit photo NDR News Germany) Télévision Allemande
dimanche soir en direct, entretien avec l’Américain Edward Snowden qui a révélé
publiquement et relayé largement à l’étranger les particularités des programmes
de surveillances opérées par la NSA.
Il devient de plus en plus évident que ces révélations n’ont
causé aucun tort, en fait, elles ont été bien utiles au grand public.
Hubert Seipel (Seipel) : Monsieur Snowden avez-vous
bien dormi ces dernières nuits parce que j’ai lu que vous aviez demandé une protection
policière en quelque sorte. Y a-t-il des menaces ?
Edward Snowden (E. Snowden) : Il existe des menaces
significatives mais je dors très bien. Il y a eu un article publié dans un
journal en ligne appelé Buzz Feed où ils interviewaient des officiels du
Pentagone, de l’Agence Nationale de Sécurité (NSA) en leur accordant l’anonymat
pour qu’ils puissent dire ce qu’ils voulaient et ce qu’ils ont dit au
journaliste reporter, c’est qu’ils voulaient m’assassiner. Ces individus – et
ce sont des officiels du gouvernement en fonction – disaient qu’ils seraient
heureux, qu’ils adoreraient me mettre une balle dans la tête, m’empoisonner au
retour d’une course chez l’épicier, et me voir mourir dans ma douche.
Seipel : Mais fort heureusement vous êtes toujours
vivant parmi nous.
E. Snowden : Tout juste je suis toujours en vie et je
ne manque pas de sommeil parce que j’ai fait ce que je sentais devoir faire.
C’était la bonne action à faire et je ne me laisserai pas intimider par la peur.
Seipel : «La plus grande crainte que j’ai », et je vous
cite, « concernant les divulgations, c’est que rien ne change. » C’était une de
vos plus grandes préoccupations à l’époque mais entre-temps il y a eu une vive
discussion concernant la situation de la NSA ; non seulement en Amérique mais
également en Allemagne et au Brésil et le Président Obama a été forcé de
s’adresser au public et de justifier ce que faisait la NSA sur des bases
légales.
E. Snowden : Ce à quoi nous avons assisté initialement
en réponse aux révélations, c’était une sorte de cercle de chariots de
protection, mis en œuvre par le gouvernement sur l’Agence de Sécurité
Nationale. Au lieu de conduire l’agence en formant un cercle protecteur autour
du public pour protéger ses droits, la classe politique s’est concentrée autour
de l’état sécuritaire pour protéger ses propres droits. Ce qui est intéressant,
c’est que bien que cela ait été leur toute première réaction, on l’a vue
s’adoucir depuis. Nous avons vu le Président le reconnaître lorsqu’il a d’abord
dit « nous avons fait le bon bilan, il n’y a pas d’abus », nous l’avons vu, lui
et ses collaborateurs admettre qu’il y a eu des abus. Chaque année, Il y a des
milliers de violations de ce genre, de la part de l’Agence de Sécurité
Nationale et d’autres agences et par les autorités.
Seipel : Est-ce-que le discours d’Obama marque le début
d’une réglementation sérieuse ?
E. Snowden : Il était clair à la lecture du discours du
Président qu’il voulait faire des changements mineurs pour préserver des
services dont nous n’avons pas besoin. Le Président a créé une commission de
surveillance constituée d’officiels qui étaient des amis personnels, d’anciens
de la sécurité nationale, d’un ancien Directeur adjoint de la CIA, de gens qui
avaient tout intérêt à y aller doucement sur ces programmes et à les considérer
d’un œil favorable. Mais ce qu’ils ont découvert était que ces programmes
n’avaient aucune valeur, qu’ils n’ont jamais empêché une attaque terroriste aux
Etats-Unis et qu’ils n’avaient eu au mieux qu’une utilité marginale dans
d’autres domaines. La seule chose que le programme de méga-données
téléphoniques de la section 215 confère, en fait c’est un programme plus vaste
de collecte brute de méga-données – une collecte brute signifie une
surveillance de masse – a révélé qu’il n’empêchait pas ou ne détectait pas les
virement électroniques de 8500 $ de la part d’un chauffeur de taxi californien
et c’est ce genre de surveillance effectuée par les opérateurs qui font que
nous n’avons pas besoin de ces programmes, ces programmes ne contribuent pas à
notre sécurité.
Ils mobilisent d’énormes de ressources pour fonctionner et
ne nous apportent rien de valable. Ils poursuivent en disant « nous pouvons les
modifier ». L’Agence de Sécurité Nationale agit uniquement sous l’autorité
effective du Président. Il peut donc arrêter ou modifier ou provoquer un
changement de ses politiques à tout moment.
Seipel : Pour la première fois le Président Obama a
admis que la NSA collectait et stockait des milliers de milliards de données.
E. Sowden : Chaque fois que vous prenez le téléphone,
composez un numéro, rédigez un courriel, effectuez un achat en ligne, prenez le
bus en transportant un téléphone portable, introduisez une carte quelque part,
vous laissez une trace et le gouvernement a décidé que c’était une bonne idée
de toutes les collecter, toutes, même si vous n’avez jamais été suspecté d’un
crime. Traditionnellement le gouvernement identifierait un suspect, irait voir
un juge, lui dirait qu’il suspectait l’individu d’avoir commis ce crime,
obtiendrait un mandat et pourrait ainsi utiliser la totalité de ses pouvoirs
pour poursuivre l’enquête. De nos jours ce que vous voyons, c’est qu’ils
veulent utiliser la totalité de leurs pouvoirs à l’avance – avant toute enquête.
Seipel : Vous avez lancé ce débat, Edward Snowden est
devenu entre-temps une icône pour le lanceur d’alerte de l’âge de l’internet.
Vous avez travaillé jusqu’à l’été dernier pour la NSA et pendant ce temps vous
avez collecté secrètement des milliers de documents confidentiels. Y-a-t-il eu
un moment décisif ou cela a-t-il mis longtemps à mûrir ou quelque chose
s’est-il passé, qu’est-ce-qui vous a poussé à faire cela ?
E. Snowden : Je dirai qu’une sorte de moment décisif
fut celui où j’ai vu le Directeur du Renseignement National, James Clapper,
mentir sous serment au Congrès. Il n’est pas possible de sauver une communauté
des services de renseignement en croyant qu’elle peut mentir au public et aux
législateurs qui doivent pouvoir lui faire confiance et légiférer sur ses
poursuites . Assister à cela signifiait réellement pour moi qu’il n’y avait pas
moyen de revenir en arrière. Au-delà de cela, il y a eu la lente prise de
conscience que personne d’autre ne le ferait. Le public avait le droit de connaître
l’existence de ces programmes. Le public avait le droit de savoir ce que le
gouvernement faisait en son nom, et ce que le gouvernement faisait contre le
public, mais nous n’étions pas autorisés à en discuter, nous n’étions autorisés
à rien, même le corps élargi de nos représentants élus ne pouvait connaître ou
discuter de ces programmes et c’est une chose dangereuse. La seule supervision
dont nous disposions était une cour secrète, la Cour FISA, qui est une sorte de
bureau, le sceau d’autorité.
Quand vous êtes à l’intérieur du système et que vous allez
travailler chaque jour et que vous vous asseyez à votre bureau et que vous
réalisez le pouvoir que vous avez – vous pouvez écouter le Président des
Etats-Unis, vous pouvez écouter un juge fédéral et si vous le faites
discrètement jamais personne ne le saura parce que la seule façon dont la NSA
peut découvrir des abus c’est en se contrôlant elle-même.
Seipel : Nous ne parlons pas seulement de la NSA dans
ce domaine, il existe un accord multilatéral de coopération entre les services
et cette alliance sur des opérations de renseignement est connue sous le nom
des Cinq Yeux (Five Eyes). Quelles agences et pays font partie de cette
alliance et quel est son but ?
E. Snowden : L’alliance des Cinq Yeux est une sorte de
reliquat de l’après Deuxième Guerre Mondiale où les pays anglophones sont les
principales puissances faisant alliance pour en quelque sorte coopérer et
partager les coûts de l’infrastructure de collecte du renseignement.
Donc nous avons le GCHQ britannique (Government
Communications HeadQuarter, ndT), nous avons la NSA américaine, le C-Sec
canadien, le Australian Signals Intelligence Directorate et le DSD
néo-zélandais. Le résultat en fut pendant des décennies et des décennies une
sorte d’organisation supranationale du renseignement qui n’obéissait pas aux
lois de leurs propres pays.
Seipel : Dans de nombreux pays, comme en Amérique
également les agences comme la NSA ne sont pas autorisées à espionner à
l’intérieur de leurs propres frontières et leur population. Donc les
Britanniques par exemple peuvent espionner tout le monde sauf les Britanniques
mais la NSA peut mener des surveillances en Angleterre, donc finalement, ils
pourraient échanger leurs données et seraient en conformité avec la loi.
E. Snowden : Si vous posez directement la question aux
gouvernements, ils le nieraient et feraient référence aux accords politiques
entre les membres des Cinq Yeux stipulant qu’ils n’espionneraient pas les
citoyens des autres pays membres mais il y a là quelques points-clés. Le
premier est qu’ils ne définissent pas comme de l’espionnage la collecte de
renseignements. Le GCHQ collecte une énorme masse de données, d’informations
sur les citoyens britanniques tout comme la NSA le fait pour les citoyens
américains. Ce qu’ils disent c’est qu’ils ne cibleront pas les gens mentionnés
dans ces données. Ils ne rechercheront pas des citoyens du Royaume-Uni ou
britanniques. De plus les accords politiques conclus entre eux disent que des Britanniques
ne cibleront pas des citoyens américains, que les Américains ne cibleront pas
des citoyens britanniques, ne les engageant pas juridiquement. Les actuelles
notes de service des accords stipulent tout particulièrement, qu’ils ne visent
pas à légalement émettre des restrictions à un quelconque gouvernement. Il y a
des accords qui peuvent être modifiés ou rompus à tout moment. Donc s’ils en
ont après un citoyen britannique ils peuvent espionner un citoyen britannique
et ils peuvent même partager ces données avec le gouvernement britannique, à
qui il est interdit d’espionner les citoyens britanniques. Donc il y a une
sorte de dynamique négociée mais qui est inavouée, cela se fait en douce et
au-delà, l’essentiel est de se rappeler que la surveillance et l’abus ne se
produisent pas lorsque les gens exploitent les données, mais lorsque les gens
collectent les données en premier lieu.
Seipel : Quel est le degré de coopération entre le
Service Secret allemand BND (Bundesnachrichtendienst, ndT) et la NSA et les
Cinq Yeux ?
E. Snowden : Je le qualifierai d’intime. En fait la
première manière dont je l’ai décrit dans notre interview écrite était que les
services allemands et les services américains couchent ensemble. Ils partagent
non seulement des informations, des rapports d’investigation, des résultats du
renseignement, mais ils partagent en fait les outils et l’infrastructure et
travaillent ensemble contre des cibles communes aux services et cela recèle
beaucoup de danger. Un des principaux programmes qui est source d’abus dans
l’Agence de Sécurité Nationale est appelé « XKeyscore ». C’est un moteur de
recherche frontal qui leur permet de faire des recherches transversales de tous
les enregistrements qu’ils collectent mondialement chaque jour.
Seipel : Que pourriez-vous faire avec ce genre d’outil
si vous étiez pour ainsi dire à leur place ?
E. Snowden : Vous pourriez lire les courriels de chacun
dans le monde entier. Tous ceux dont vous possédez l’adresse électronique, tout
site dont vous pouvez observer le trafic entrant et sortant, tout ordinateur
devant lequel est assis un utilisateur peut être observé, tout ordinateur
portable que vous ciblez peut être suivi dans ses déplacements à travers le
monde. C’est un magasin unique d’accès à l’information de la NSA. Et de plus
vous pouvez marquer les utilisateurs de « XKeyscore ». Disons que je vous ai vu
une fois et que je me suis dit que ce que vous faisiez était intéressant ou que
vous avez accès à des choses qui m’intéressent, admettons que vous travaillez
pour une grande entreprise allemande et que je veux accéder à ce réseau, je
peux tracer votre nom d’utilisateur sur un site web, sur un formulaire
quelconque, je peux tracer votre vrai nom, je peux tracer des associations avec
vos amis et je peux construire les liens de ce qu’on appelle une empreinte
digitale qui représente l’activité réseau qui vous est propre, ce qui signifie
que où que vous alliez dans le monde, où que vous tentiez de dissimuler votre
présence sur le réseau ou votre identité, la NSA peut vous retrouver et tous
ceux qui sont autorisés à l’utiliser ou avec qui la NSA partage son logiciel
peuvent faire de même. L’Allemagne est un des pays à avoir accès à « XKeyscore
».
Seipel : Cela paraît plutôt effrayant. La question est
: le BND livre-t-il des données sur les Allemands à la NSA ?
E. Snowden : Que le BND le fasse directement ou en
connaissance de cause, la NSA reçoit des données allemandes. Si cela se fait,
je ne peux en parler avant que cela ne soit publié parce que cela serait
classifié et je préfère que les journalistes fassent le tri et prennent les
décisions sur ce qui intéresse le public et ce qui devrait être publié.
Cependant, ce n’est pas un secret que chaque pays au monde a les données de ses
citoyens stockés à la NSA. Des millions et des millions de connexions de
données d’Allemands vaquant à leurs occupations quotidiennes, parlant sur leurs
téléphones portables, envoyant des SMS, visitant des sites web, faisant des
achats en ligne, tout cela finit à la NSA et il est probable que le BND soit au
courant dans une certaine mesure. Maintenant je ne saurai dire s’ils
fournissent ou non activement ces informations.
Seipel : Le BND explique que si nous le faisons, nous
le faisons en fait accidentellement et que notre filtrage ne fonctionnait pas.
E. Snowden : Bien donc le genre de choses dont ils
discutent sont de deux ordres. Ils parlent de filtrer l’ingestion de données,
ce qui signifie que la NSA installe un serveur secret chez un fournisseur
d’accès de télécommunications allemand ou qu’elle pirate un routeur allemand en
déviant le trafic de manière à leur permettre de faire des recherches, ils
disent « si je vois ce que je crois être un allemand parlant à un autre
allemand je laisse tomber » mais comment savoir. Vous pourriez dire « eh bien ces
personnes parlent en langue allemande », « cette adresse IP semble être celle
d’une société allemande s’adressant à une autre société allemande », mais cela
n’est pas précis et ils ne laisseraient pas tomber tout ce trafic parce qu’ils
ont identifié des cibles intéressantes, qui sont actives en Allemagne en
utilisant les communications allemandes. Donc de façon réaliste quand ils
disent qu’il n’y a pas d’espionnage des Allemands, ils ne veulent pas dire que
des données allemandes ne sont pas collectées, ils ne veulent pas dire que des
enregistrements ne sont pas effectués ou volés, ce qu’ils veulent dire c’est
qu’ils ne surveillent pas intentionnellement des citoyens allemands. Et là
c’est une sorte de promesse avec les doigts croisés dans le dos, ce n’est pas
fiable.
Seipel : Qu’en est-il d’autres pays européens comme la
Norvège et la Suède par exemple parce que nous avons un tas de câble je pense,
sous-marins qui traversent la Mer Baltique.
E. Snowden : C’est une sorte d’élargissement de la même
idée. Si la NSA ne collecte pas d’informations sur les citoyens allemands en
Allemagne, le fait-elle aussitôt qu’elles passent les frontières allemandes ?
Et la réponse est « oui ». Toute communication qui transite par l’internet peut
être interceptée par la NSA en de multiples points, que ce soit en Allemagne,
en Suède, en Norvège ou Finlande, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En
n’importe quel point de ces pays par lesquels passe une communication
allemande, celle-ci peut être ingérée et ajoutée à la base de données.
Seipel : Donc passons alors à nos voisins du sud de
l’Europe. Qu’en est-il de l’Italie, de la France, de l’Espagne ?
E. Snowden : C’est la même façon de procéder dans le
monde entier.
Seipel : La NSA espionne-t-elle Siemens, Mercedes,
d’autres sociétés allemandes qui réussissent par exemple, pour avoir le dessus,
pour avoir l’avantage concurrentiel et savoir ce qui se passe dans le monde
scientifique et économique ?
E. Snowden : Je ne veux pas anticiper les décisions
éditoriales des journalistes mais je dirai qu’il est hors de doute que les
Etats-Unis pratiquent l’espionnage économique.
S’il y a de l’information sur Siemens dont ils pensent
qu’elle pourrait servir les intérêts nationaux, non la sécurité nationale des
Etats-Unis, ils chercheront cette information et la récupéreront.
Seipel : Il y a ce vieil adage qui dit « vous faites ce
que vous pouvez » donc la NSA fait tout ce qui est techniquement possible.
E. Snowden : C’est quelque chose que le Président a
abordé l’année dernière lorsqu’il a dit que ce n’est pas parce que nous sommes
capables de faire quelque chose, et c’était en relation avec le piratage du
téléphone portable d’Angela Merkel, ce n’est pas parce que nous en sommes
capables que nous devons le faire, et c’est exactement ce qui s’est passé. Les
capacités technologiques qui ont été acquises en raison des faibles normes de
sécurité des protocoles internet et des réseaux de communications cellulaires
ont eu pour effet que les services de renseignement peuvent créer des systèmes
qui voient tout.
Seipel : Rien n’a plus contrarié le gouvernement
allemand que le fait que la NSA ait piraté le téléphone portable privé de la
chancelière allemande Merkel au cours des 10 dernières années ; à l’évidence
soudainement cette surveillance invisible se rattachait à une personnalité
connue et non plus à une espèce d’arrière-plan terroriste flou et obscur :
Obama a maintenant promis d’arrêter d’espionner Merkel ce qui pose la question
: la NSA a-t-elle espionné les gouvernements précédents y compris les
chanceliers précédents et quand l’a-t-elle fait et depuis combien de temps ?
E. Snowden : C’est une question à laquelle il m’est
particulièrement difficile de répondre parce qu’il y a des informations dont je
pense fortement qu’elles sont d’intérêt public. Cependant, comme je l’ai déjà
dit, je préfère laisser les journalistes prendre ces décisions à l’avance,
passer en revue les éléments et décider si oui ou non la valeur pour le public
dépasse le genre d’atteinte à la réputation de ceux qui ont ordonné la
surveillance. Ce que je peux dire, c’est que nous savons qu’Angela Merkel était
sous surveillance de l’Agence de Sécurité Nationale. La question est de savoir
s’il est raisonnable de penser qu’elle soit la seule personne officielle
allemande à être surveillée, à quel point il est possible de croire qu’elle
soit la seule personnalité éminente en Allemagne que l’Agence de Sécurité
Nationale surveillait. Je suggérerai qu’il soit déraisonnable pour quelqu’un qui
se préoccupait des intentions des dirigeants allemands de ne surveiller que Mme
Merkel et non ses collaborateurs, d’autres officiels éminents, ses ministres ou
même des officiels de gouvernements régionaux.
Seipel : Comment un jeune homme d’Elizabeth City en
Caroline du Nord, âgé de 30 ans, accède-t-il à une tel poste dans un domaine
aussi sensible ?
E. Snowden : C’est une question à laquelle il est très
difficile de répondre. En général, je dirai que cela met en lumière les dangers
de privatiser des fonctions gouvernementales. Je travaillais précédemment en
fait comme cadre de direction, en tant qu’employé du gouvernement dans l’Agence
Centrale du Renseignement (CIA) mais j’ai travaillé le plus souvent comme
sous-traitant privé. Ce que cela signifie, c’ est qu’il existe des sociétés
privées qui effectuent un travail qui est intrinsèquement du ressort du
gouvernement comme de l’espionnage ciblé, de la surveillance, de l’infiltration
de systèmes étrangers, et quiconque dispose des compétences pour convaincre une
société privée qu’il a les qualifications nécessaires, sera chargé par le
gouvernement de le faire et il y a très peu de supervision, très peu de
contrôle.
Seipel : Etiez-vous un de ces classiques enfants de
l’ère informatique qui avaient les yeux rougis à force de passer leurs nuits
devant l’écran à l’âge de 12 à 15 ans avec leur père qui toquait à leur porte
en leur disant « éteins la lumière, il est tard » ? Avez-vous acquis vos
compétences informatiques de cette manière ou quand avez-vous eu votre premier
ordinateur ?
E. Snowden : Il est exact j’ai certainement eu … je
dirai une formation informelle approfondie en informatique et en technologie
électronique. Cela m’a toujours fasciné et intéressé. Et il est juste de dire
que j’avais des parents qui me disaient d’aller au lit.
Seipel : Si on regarde le peu de données disponibles
publiquement sur votre vie, on découvre que vous vouliez à l’évidence rejoindre
les Forces Spéciales en mai 2004 pour combattre en Irak, quelle était votre
motivation à l’époque ? Vous savez, les Forces Spéciales, si on vous regarde en
ce moment, cela signifie d’âpres combats et probablement de tuer. Et êtes-vous
déjà allé en Irak ?
E. Snowden : Non je ne suis pas allé en Irak … une des
choses intéressantes à propos des Forces Spéciales, c’est qu’elles ne sont pas
destinées au combat direct, elles sont ce qu’on appelle un multiplicateur de
force. Elles sont infiltrées derrière les lignes ennemies, c’est un groupe qui
dispose d’un certain nombre de spécialités différentes et qui forme et met la
population locale en capacité de résister ou de servir de support aux forces
américaines d’une manière qui leur donne une chance de peser sur leur propre
destinée et je sentais que c’était en soi une noble cause à l’époque. Après
coup certaines des raisons qui nous ont amenées en Irak n’étaient pas bien
fondées et je pense ont rendu un mauvais service à tous ceux qui étaient
impliqués.
Seipel : Qu’est-il arrivé à votre aventure alors ?
Etes-vous resté longtemps avec eux ou que vous est-il arrivé ?
E. Snowden : Non, je me suis brisé les jambes à
l’entraînement et j’ai été réformé.
Seipel : Alors en d’autres termes l’aventure a tourné
court ?
E. Snowden : Cela a été une brève aventure.
Seipel : En 2007 la CIA vous a stationné sous
couverture diplomatique à Genève en Suisse. Pourquoi avoir rejoint la CIA à
propos ?
E. Snowden : Je ne pense pas pouvoir répondre à cette
question en direct.
Seipel : D’accord en ce qui concerne ce que vous y avez
fait, oublions, mais pourquoi avoir rejoint la CIA ?
E. Snowden : A plusieurs égards je pense que c’est dans
la continuité de mon action de favoriser l’ intérêt public de la manière la
plus efficace et c’est en phase avec le reste de mon activité au service du
gouvernement où j’essayais d’utiliser mes compétences techniques dans les
postes les plus difficiles que je pouvais trouver dans le monde, et la CIA m’en
offrait l’occasion.
Seipel : Si nous revenons en arrière : Forces
Spéciales, CIA, NSA, cela ne cadre pas vraiment avec le profil d’un activiste
des droits de l’homme ou de quelqu’un qui devient un lanceur d’alerte après
cela. Que vous est-il arrivé ?
E. Snowden : Je pense que cela raconte une histoire et
que cela n’a rien à voir avec la profondeur de l’engagement des individus dans
le gouvernement, ni avec leur fidélité au gouvernement, ni dans la force de
leur foi dans les choix de leur gouvernement comme cela a été mon cas pendant
la guerre d’Irak, les gens peuvent apprendre, les gens peuvent découvrir la
limite entre un comportement gouvernemental approprié et de réels méfaits et je
pense qu’il est devenu évident pour moi que cette limite avait été franchie.
Seipel : Vous avez travaillé pour la NSA par
l’intermédiaire d’un sous traitant privé du nom de Booze Allen Hamilton, un des
grands noms du secteur. Quel est l’intérêt pour le gouvernement américain ou la
CIA de sous-traiter à une société privée l’externalisation d’une fonction
centrale du gouvernement ?
E. Snowden : La culture de la sous-traitance de la
communauté de la sécurité nationale aux Etats-Unis est une question compliquée.
Le moteur en est un ensemble d’intérêts comprenant d’abord la nécessité de
limiter le nombre d’employés directs du gouvernement et en même temps d’écarter
des groupes de lobbying du Congrès de sociétés très solides telles que Booze
Allen Hamilton. Le problème est que vous arrivez à une situation où des
politiques gouvernementales sont influencées par des sociétés privées qui ont
des intérêts qui n’ont rien à voir avec l’intérêt public. Le résultat en est ce
que nous avons vu chez Booze Allen Hamilton où vous avez des individus qui ont
accès à ce que le gouvernement reconnaît comme des millions et des millions
d’enregistrements avec lesquels ils pouvaient passer la porte à tout moment
sans en référer, sans supervision, sans audit, sans même que le gouvernement
sache où ils allaient.
Seipel : A la fin vous êtes arrivé en Russie. Nombre de
communautés du renseignement vous soupçonnent d’avoir passé un accord, du
matériel classifié en contrepartie d’un asile ici en Russie.
E . Snowden : Le chef de la Task Force qui a étudié mon
cas pas plus tard qu’en décembre a conclu qu’il n’avait aucune preuve ou indice
que j’avais bénéficié d’une aide ou de contacts extérieurs ou que j’avais
conclu un accord de quelque nature pour accomplir ma mission. J’ai travaillé
seul. Je n’ai eu besoin de personne d’autre, je n’ai pas de liens avec des
gouvernements étrangers, je ne suis pas un espion à la solde de la Russie ou de
la Chine ou d’un autre pays dans cette affaire. Si je suis un traître qui ai-je
trahi ? J’ai livré toute mon information au public américain, à des
journalistes américains qui enquêtent sur des questions américaines. S’ils
prennent cela pour une trahison je pense que les gens doivent s’interroger sur
ceux pour qui ils croient travailler. Le public est supposé être leur patron
non leur ennemi. Au-delà de cela en ce qui concerne ma sécurité personnelle, je
ne serai jamais pleinement en sécurité avant que ces systèmes n’aient changé.
Seipel : Après vos révélations aucun pays européen ne
vous a vraiment offert l’asile. Où en Europe avez-vous demandé le droit d’asile
?
E. Snowden : Je ne peux me rappeler la liste des pays
en détail parce qu’ils étaient nombreux mais la France et l’Allemagne ainsi que
le Royaume-Uni en faisaient certainement partie. Un nombre de pays européens,
dont la totalité a malheureusement estimé que faire ce qui est juste était
moins important que d’apporter leur soutien aux intérêts politiques américains.
Seipel : Une réaction à l’espionnage de la NSA en ce
moment est que des pays comme l’Allemagne réfléchissent à la création d’internet
nationaux afin de forcer les sociétés du net à garder leurs données dans leur
propre pays. Est-ce faisable ?
E. Snowden : Cela n’arrêtera pas la NSA. Disons-le
ainsi : la NSA va là où se trouvent les données. Si la NSA peut extraire des
messages des réseaux de télécommunication en Chine, il est probable qu’elle
puisse sortir des messages facebook d’Allemagne. A la fin la solution à ce
problème n’est pas de tout mettre entre quatre murs. Bien que cela augmente le
niveau d’évolution et de complexité nécessaire à la récupération de
l’information, il vaut beaucoup mieux simplement sécuriser l’information au
niveau international de toute intrusion plutôt que de jouer à « déplacer les données
». Déplacer les données ne résout pas le problème. Le problème est de sécuriser
les données.
Seipel : En ce moment Obama ne semble à l’évidence pas
trop préoccupé par le message de la fuite. Et avec la NSA ils sont beaucoup
plus préoccupés d’attraper le messager dans ce contexte. Obama a demandé à
plusieurs reprises au président russe de vous extrader. Mais Poutine ne l’a pas
fait. Il semble que vous deviez probablement passer le reste de votre vie en
Russie. Comment vous sentez-vous en Russie dans ce contexte et existe-t-il une
solution à ce problème.
E. Snowden : Je pense qu’il devient de plus en plus
évident que ces fuites n’ont pas provoqué de dégâts et qu’en fait elles ont
servi l’intérêt général. Pour cette raison je pense qu’il sera très difficile
de maintenir une sorte de campagne permanente de persécution envers quelqu’un
dont le public reconnaît qu’il sert l’intérêt public.
Seipel : Le New York Times a écrit un très long article
et demandé que la clémence vous soit accordée. Le titre en est « Edward Snowden
lanceur l’alerte » et je cite l’article : « Le public a appris dans le détail
comment l’agence a étendu son mandat et abusé de son autorité. » Et le New York
Times conclut : « Le Président Obama devrait demander à ses collaborateurs de commencer
à trouver une manière de mettre fin au dénigrement de Mr Snowden et de
l’inciter à revenir au pays. » Avez-vous eu un appel de la Maison Blanche dans
l’intervalle ?
E. Snowden : Je n’ai jamais reçu d’appel de la Maison
Blanche et je ne passe pas mon temps à côté du téléphone. Mais j’accueillerai
volontiers l’occasion de parler de la manière d’amener cette affaire à une
conclusion qui satisfasse les intérêts de toutes les parties concernées. Je
pense qu’il est clair qu’il y a des moments où ce qui légal est distinct de ce
qui est juste. Il y a de telles époques dans l’histoire et il n’est pas besoin
de réfléchir longtemps pour un Américain ou un Allemand pour trouver dans
l’histoire de son pays des époques où la loi permettait au gouvernement d’accomplir
des choses qui n’étaient pas justes.
Seipel : En ce moment le Président Obama à l’évidence
ne semble pas en être convaincu parce qu’il a dit que vous étiez accusé de
trois crimes et je cite : « si vous Edward Snowden croyez en ce que vous avez
fait pourquoi ne revenez-vous pas en Amérique pour comparaître au tribunal avec
un avocat et plaider votre cause. » Est-ce la solution ?
E. Snowden : C’est intéressant parce qu’il a mentionné
trois crimes. Ce qu’il ne dit pas, c’est que les crimes dont il m’accuse sont
des crimes qui ne me permettent pas de me défendre en justice. Ils ne
m’autorisent pas à me défendre devant un tribunal public et convaincre un jury
que ce que j’ai fait l’a été dans leur intérêt. La loi sur l’espionnage, qui
date de 1918, n’a jamais permis de poursuivre les sources des journalistes, les
gens qui donnent aux journaux des informations qui sont d’intérêt public. Elle
concerne des gens qui vendent en secret des documents à des gouvernements
étrangers qui bombardent des ponts et sabotent des communications, pas des gens
qui agissent pour l’intérêt général. Donc je dirai d’une manière illustrée que
le président choisirait de dire que vous devriez affronter la musique alors
qu’il sait que la musique est un procès pour la galerie.
Traduction : Patrick Rev. Isabelle 09/02/2014
Bemol sur le rôle d'Obama qui est encore obligé d'opérer dans les coulisses !
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